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de grandes routes. Une nuance qu’on discerne aussi parfois sous
la plume de Sensier. Montmartre, entre ciel et terre, entre ville et
DE GEORGES MICHEL campagne. S’il parcourt la capitale et ses faubourgs, Michel foule
aussi à grands pas les collines battues par les vents que Montmartre
À THÉODORE ROUSSEAU : anime de ses moulins aux grandes ailes tournoyantes et de ses car-
ESSAI D’ITINÉRAIRES riers croulants sous le labeur, témoins d’une des seules activités hu-
maines. « Il aimait tant son Paris et son Montmartre, nous confie la
CROISÉS seconde épouse de Michel, qu’il allait jusqu’à peindre les dépotoirs
de Pantin, et quand on desséchait un réservoir pour le vider dans un
autre,Michelétaitlàavecsaboîteetsoncrayon,pourensaisirunef-
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fet de cascade. Rien ne le répugnait » . D’où lui vient cette passion ?
Michel Schulman Des peintres qu’il aurait vus au Louvre ? A-t-il jamais croisé dans sa
jeunesse les tableaux des maîtres flamands et hollandais, si proches
de la nature qu’ils la restituent pourtant de manière si différente ?
Michel, peintre de Montmartre «Cequiélèverasonesprit,cefutuncoindeterrequisemblaitstérile
aux artistes du passé et qui n’eut jusque-là aucun homme pour en
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« Dans les nouvelles dénominations des rues, j’aurais bien souhai- découvrir la richesse », écrit Sensier .
té de voir la rue Michel à Montmartre », écrit Charles Poncelet en
1865. Un souhait qui serait tombé dans l’oubli s’il n’avait été repris Pourtant, à propos du Salon de 1791, un critique anonyme ose
et vulgarisé par Alfred Sensier dans son Etude sur Georges Michel écrire : « Je ne vous dis rien du paysage, c’est un genre qu’on ne
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64 publiée en 1873 . devrait pas traiter » . C’est dire l’immense fossé qui sépare les as-
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pirations presque juvéniles de Michel des goûts et des tendances ar-
Pourtant les portes de la célébrité montmartroise devaient lui res- tistiques de son époque. Comme le dit Léo Larguier dans son livre
ter fermées. Et le sont toujours puisqu’aucune ruelle, placette, au- sur Georges Michel publié en 1927, « Les critiques d’art ne brillent
cun square ou jardin ne porte aujourd’hui le nom du « Ruisdael de guère pendant la Révolution et sous l’Empire, mais la manière de
Montmartre ». Ignoré ! Oublié ! Délaissé ! Et parfois même confon- Michel n’en fit crier aucun » . Une constatation certes ironique mais
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du avec un homonyme. Pauvre Georges Michel qu’on ne plaindra véridique pour ne pas dire féroce et cruelle. Nous le verrons plus
pas cependant, lui qui n’aspirait ni à la réussite pécuniaire, ni à la loin,ilfautattendreplusieursdizainesd’annéespourquesoitrecon-
reconnaissance et encore moins aux honneurs. Une ingratitude nue son œuvre à travers les artistes de la génération suivante.
qui ne semble heureusement pas l’avoir affecté, comme on peut le
constater en lisant les pages de Sensier qui traduisent les propos de Ainsi Michel bat la campagne. Chaque jour, parfois accompagné de
la seconde femme de Michel, trente ans après sa disparition. Faut-il son fidèle Jean-Louis Demarne (1752-1829) et de son ami Lazare
se fier à ce témoignage ? Madame Michel et Sensier lui-même ne Bruandet (1755-1804) (fig. 53 et 54), il parcourt les environs de
sont-ils pas pris au piège des souvenirs déformés voire corrompus Paris, affublé de son chevalet, de ses pinceaux et toiles afin de
par le temps ? Ne sont-ils pas des laudateurs involontaires ? Faute peindre sur le motif. Citant indirectement Michel, Sensier dira
d’autres témoignages, force est bien de les croire mais Sensier, fas- « qu’il n’est pas besoin de voyager et qu’un peintre devrait trou-
ciné par le parcours de cet homme peu commun, est-il un observa- ver dans quelques lieues carrées de quoi s’occuper toute une vie » .
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teur-écrivain objectif ? N’est-ce pas ce que font les peintres de Barbizon quand ils s’ins-
tallent, pour certains définitivement, en forêt de Fontainebleau ?
Pourquoi Montmartre ? Une campagne si proche de la ville et pour- Coupant ainsi court au traditionnel Grand Tour si cher aux artistes
tant si lointaine. Michel aspire à vivre ce contraste entre cité et cam- et aux écrivains de cette époque, cherchant de nouvelles inspira-
pagne, entre l’architecture urbaine qu’il a souvent transcrite dans tions et de subtiles sensations au sein d’antiques ruines grecques
son œuvre et les contrées sauvages et tourmentées des environs de et romaines. Mais cette fixation sur un seul espace n’a-t-elle pas
Paris. Et même Victor Hugo, dans Les Misérables, relativise cette ses limites ? Peindre autre chose, une autre nature, une lumière
notion de campagne où sont construites des maisons et déjà tracées différente et changeante : c’est le choix que font les artistes qui
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