Degas, un hiver en Louisiane. Roman
L'auteur ne s'en cache pas. Il s'agit là d'un roman mais si proche de la réalité qu'on accompagne Degas à chaque pas de son périple en Louisiane pendant l'hiver 1872-1873.
Nous faire partager cette réalité sans séjourner à la Nouvelle Orléans ! C'est dire que Cécile Delile est entrée de plain pieds dans son sujet et qu'elle parvient à nous faire partager sa passion pour le peintre mais aussi, dans une certaine mesure, pour le personnage. Pourquoi avoir choisi d'écrire ce livre - inattendu - sur le voyage de Degas en Louisiane ? C'est évidemment la première question qui vient à l'esprit car les sujets ne manquent pas autour de l'oeuvre et du personnage de Degas.
"J'ai trouvé une femme en Louisiane", explique l'auteur dans une longue et passionnante conversation. Difficile de convaincre le lecteur quand on connaît la vie de Degas, entouré qu'il était de femmes plus belles et plus attirantes les unes que les autres. L'auteur dit bien UNE femme et non DES femmes. Et cette femme, c'est Estelle, sa cousine germaine, la femme de René, son frère bien aimé... à l'époque ! Tout le livre tourne finalement autour de cette relation affective, de cette incarnation de la beauté - psychologique - de la femme que Degas semble découvrir dès son arrivée à La Nouvelle Orléans. Il avait rencontré sa cousine à Paris, longtemps auparavant. Elle s'était mariée avec son frère René et sans doute est-ce cela qui pousse Degas à entreprendre ce long voyage.
"Degas est attiré par elle, physiquement et intellectuellement tout comme il le sera plus tard par Berthe Morisot", précise l'auteur. Attiré aussi, et peut-être surtout, par sa famille. On se rappellera le voyage qu'il fit à Naples pour rencontrer sa famille et dont un des résultats majeurs est le somptueux tableau La famille Bellelli du musée d'Orsay et dont le musée de Copenhague possède un version moins aboutie. "J'ai voulu garder un part de rêve", ajoute l'auteur, rêve néanmoins basé sur la correspondance de Degas dont se sert habilement Cécile Delile ainsi que de Degas par lui-même de Richard Kendall. On suit Degas sur le bateau à son arrivée à New York et son parcours jusqu'à La Nouvelle Orléans. Le train, le bateau sur le Mississippi, les "paysages verticaux" des grandes villes qu'il traverse et la lenteur paresseuse du fleuve majestueux.
Accompagné des Confessions de Jean-Jacques Rousseau, Degas découvre un monde nouveau. Il ne cesse cependant de l'observer à travers la peinture, la sculpture et la littérature. C'est ainsi qu'il transpose "son" monde parisien, une façon sans doute de mieux supporter un éloignement qui finalement lui pèse. Paris, l'Opéra, ses rues... Mais, à La Nouvelle Orléans, il découvre de nouveaux parfums, une nouvelle lumière, des bruissements inconnus et... des habitants aux couleurs et vêtements bigarrés. "Puissance du blanc et de la lumière. Fraîcheur des maisons, on se cache à l'intérieur et on vit sur le pas de la porte", écrit-il dans son Carnet n° 4.
Il continue à peindre : deux versions du Bureau de coton dont celle du musée de Pau, La femme à la potiche (Estelle Musson, femme de son frère René) du musée d'Orsay, Achille de Gas et plusieurs autres portraits de sa famille et de ses proches. Entre les portraits et les intérieurs, il délaisse les scènes extérieures pourtant si chatoyantes mais, ici comme à Paris, le paysage ne l'attire pas vraiment. Et pourtant, le Mississippi aurait pu... A un moment, on sent qu'il hésite à revenir à Paris. Sans doute Estelle !
Mais la scène culturelle parisienne est trop forte pour résister et en mars 1873, le bateau qui passe par Cuba le ramène en France. Où il retrouve ses habitudes, ses amis et Durand-Ruel auquel il essaie de vendre de plus en plus de tableaux. Avec ce livre, cette courte séquence de la vie de Degas prend toute son importance. Degas y est dessiné loin de ses murs et de ses habitudes et sa "passion" pour Estelle donne au roman toute son originalité.
Degas, un hiver en Louisiane, 1872-1873, Cécile Delile, éditions du Petit Pavé, Brissac-Quincé, France.
Publication : 04-06-2018